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Defrasne – Bjoerndalen : Une dernière ligne droite pour l’éternité

« Vincent Defrasne, ce n’est pas vrai, Vincent Defrasne sur la piste est le meilleur ! Vincent Defrasne ! Oh qu’il est beau le biathlon français, il est merveilleux Vincent Defrasne ! Devant le meilleur skieur du monde ! Il bat le meilleur skieur du monde ! ». Ces mots d’André Garcia, commentateur pour le biathlon sur France télévision, à l’époque, résonnent encore dans nos têtes comme un des plus beaux moments du sport français.

Vincent Defrasne célébrant sa victoire au sprint devant Ole Einar Bjorndalen

Crédit : vancouver.franceolympique.com


Dans la culture populaire française, le terme « exploit » est utilisé pour bon nombre de performances, souvent inadéquates. On peut caractériser un exploit sportif par trois dimensions. Dans un premier temps par le prestige de la compétition dans laquelle se joue la performance. Dans un deuxième temps, par la valeur de l’adversaire, censé être supérieur. Mais le troisième facteur, et surement le plus impactant pour relater l’histoire, réside dans la dramaturgie de l’instant.


Ce samedi 18 février 2006, Vincent Defrasne remplis à merveille ces trois dimensions qui l'amène à réaliser l’un des plus beaux exploits individuels du sport français de ces 20 dernières années. Si pour lui le biathlon n’est pas dans ses projets avant son entrée au sport-étude de Pontarlier, lui, le 4ème junior français de ski de fond va pourtant passer le pas. Un jour d’hiver, Laurent Monnier (entraineur de biathlon à l’époque) va l’inciter à « aller au stand de tir pour essayer ». Pari réussi pour Laurent Monnier, Vincent Defrasne s’investit dans le biathlon à l’issu de cette séance pour s’adonner à un sport qu’il qualifiera « plus complet et plus riche ».


Les débuts en coupe du monde se feront 5 ans plus tard en 1999 à l’âge de 22 ans, Vincent Defrasne entre dans la cour des grands de bonne manière : deux titres de champion d’Europe. Rien que cela. Deux ans plus tard en 2001, il glane avec ses compatriotes français (Raphaël Poirée, Gilles Marguet, Julien Robert), le titre mondial en relais aux championnats du monde, devant la Biélorussie et l’armada Norvégienne.

Photo du podium des mondiaux de Pokljuca en 2001. La France sur la première marche du podium avec la médaille d’or. De gauche à droite (Raphael Poirée ; Julien Robert ; Vincent Defrasne ; Gilles Marguet).



Il accumule les podiums en Coupe du Monde et en relais (3ème aux jeux de Salt Lake City en 2002) sans la moindre victoire. Il faut attendre janvier 2006 pour le voir s'adjuger sa première victoire lors du sprint d’Oberhof. De quoi faire le plein de confiance avant les Jeux Olympiques qui auront lieu le mois suivant. Oui, mais pour glaner la première place lors des Jeux Olympiques, il faudra dépasser un adversaire. Un adversaire très coriace, qui rafle presque-tout sur son passage depuis 8 ans déjà…


L’avant-course : Bjoerndalen « Le roi du biathlon »


« Le Cannibale » « Le Roi du biathlon » « L’ogre », ce sont les sobriquets de Ole Einar Bjoerndalen, l’athlète le plus décoré et le plus fort de sa génération. Quatre médailles d’or acquises sur quatre courses disputées aux jeux olympiques de Salt Lake city, quatre ans plus tôt (sprint, poursuite, individuelle, relais). Un résultat rarissime et réalisé seulement trois fois dans l’histoire des jeux d’hiver. Il gagne chaque épreuve avec une facilité déconcertante, 36 secondes d’avance pour l’individuelle, 28 pour le sprint, 43 pour la poursuite et 28 secondes pour le relais. Pour confirmer sa domination, Bjoerndalen réedite l’exploit aux championnats du monde de Hochfilzen en 2005 avec quatre médailles d’or obtenues sur les cinq disponibles (sprint, poursuite, départ en ligne, relais). Seule la 6ème place décroché a l’individuelle fera tâche sur cette édition.


Par ailleurs, il totalise (à l’aube des Jeux Olympiques de 2006) un total de 56 victoires en course dans sa carrière, 19 médailles aux championnats du monde dont 13 individuelles. Vincent Defrasne, quant à lui totalise seulement deux médailles dans les grands rendez-vous, (championnat du monde et jeux olympiques) et une seule victoire en Coupe du Monde. Vous l’aurez compris c’était un peu (David contre Goliath). D’autant plus que le Français n’est même pas l’icône tricolore du biathlon de l’époque puisque seul Raphaël Poirée détenteur de quatre gros globes, 14 médailles aux championnats du monde et 38 victoires en coupe du monde pouvait rivaliser avec le Norvégien. Autant vous dire qu’on attendait pas le skieur originaire de Pontarlier aux avant-postes. Et pourtant…


Pour renforcer encore plus l’exploit réalisé par Vincent Defrasne, il est important de signaler que Bjoerndalen marque encore une fois l'histoire de son sport, en remportant une étape de coupe du monde… en ski de fond ! Grâce à ses deux podiums obtenus lors de la saison 2001-2002 en ski de fond, il décide aux Jeux de Salt Lake city, de s’aligner sur l’épreuve du 30km libre où il termine 5ème. Intouchable... Ou presque.




Ole Einar Bjoerndalen arborant ses 4 médailles d’or obtenues lors des jeux olympiques de Salt Lake City en 2002

Crédit : Welt.de



La poursuite des jeux olympiques de Turin : L’exploit inimaginable.


Bjoerndalen arrive à Turin avec une victoire acquise lors de la dernière étape de moupe du Monde avant les jeux olympiques, le 22 janvier 2006, sur un "départ en ligne" assez confortablement. De plus, sur son dernier grand championnat, il a décroché quatre médailles d'or. De quoi faire douter la planète biathlon, lui qui n’avait jusque alors remporté qu’une seule course sur la saison 2005-2006, lors de la poursuite d’Ostersund en Suède, le 27 novembre 2005.


La première course de ces Jeux Olympiques se déroule le 11 février 2006, par l’individuelle (20km). Chaque faute sur le pas de tir est synonyme de pénalité d'une minute. Bjoerndalen n’est pas réputé pour être un bon tireur avec 83% de réussite en carrière derrière la carabine. Pourtant, il réussit à remporter une médaille d’argent avec deux fautes et deux minutes de pénalités. Il finit avec seulement 16 secondes de retard sur l’allemand Greis, pourtant pénalisé que d’une seule faute.


Lors du sprint des jeux Olympiques, 5 jours plus tard, il se classe 11ème* avec trois erreurs et un défectueux tir debout. Le résultat est sans appel : 7/10 et 1min14 de retard sur le vainqueur du jour, l’allemand Sven Fischer. Le problème ? Les résultats du format sprint se reportent sur le deuxième format de course, la poursuite, qui elle est caractérisée par un format de « chasseur-chassé » avec les écarts comptabilisés du sprint pour établir l'ordre de départ. Seule différence avec le format sprint, la poursuite s’effectue sur cinq tours de pistes de 2,5 km entrecoupés par quatre séances de tirs (2 tirs couchés puis 2 tirs debout). Chaque séance de tir possède cinq cibles à blanchir, et chaque erreur engendre un tour de pénalité de 250 mètres supplémentaire. La troisième course semble mal embarquée pour Ole Einar Bjoerndalen.


D’autant que, 4ème* du sprint derrière le grand Sven Fischer, Vincent Defrasne semble bien. 9/10 derrière la carabine à 42 secondes de la tête de course dont 22 secondes du podium, mais rien n’est encore fait.* (Initialement 5ème (Defrasne) et 12ème (Bjoerndalen), la 4ème et la 11ème place leur sont attribuées après le déclassement de l’autrichien Wolfgang Perner pour dopage.)


Bjoerndalen a donc 32 secondes de retard sur celui qu’il ne pensera jamais capable de le pousser dans ses retranchements. Dès le premier tour, Bjoerndalen reprend la totalité des 32 secondes de retard sur Vincent Defrasne, parce que oui, Bjoerndalen est un biathlète-fondeur. Il est le premier biathlète de l’histoire et encore aujourd’hui le seul, à avoir remporté une course de coupe du monde en ski de fond, sans la carabine dans le dos et avec des athlètes entraînés uniquement pour le ski de fond. Difficile de se rendre compte de la prouesse réalisée par le Norvégien. Tout comme le Français, il sortira avec un 5/5 du premier tir couché. Désormais lancé, il passera à l’intermédiaire 3.5 km en compagnie du Français à 33 secondes puis à l’intermédiaire 4.5 km à 28 secondes de la tête de course emmenée par le deuxième norvégien Andresen. Stratosphérique.


Lors du deuxième tir, Bjoerndalen tire plus vite que le Français mais effectue une faute. Avantage à Defrasne qui ressort à 10/10 et prend par la même occasion, la deuxième place de la course derrière un autre norvégien, Hanevold. Mais le plus dur arrive. Si le tir couché est considéré comme un tir technique, le tir debout quant à lui se joue au mental et à la résistance physique, ce qu'Hanevold aurait bien voulu avoir sur ce troisième tir. Trois fautes plus tard la course était terminée pour lui. Vincent Defrasne arrive juste derrière pour tirer : 15/15. Il est en tête avant la dernière échéance avec 34 secondes d’avance sur Bjoerndalen qui vient d’effectuer une nouvelle faute sur son premier tir débout. 13/15 pour lui.


Cependant, Bjoerndalen est le meilleur skieur et s’il a déjà repris 45 secondes sur l’ensemble de ses concurrents au niveau de la glisse, ce n’est pas un hasard. Il revient jusqu’à 27 secondes lors du dernier intermédiaire sur Vincent Defrasne avant le quatrième et dernier tir. La tension est palpable, les français silencieux, les yeux écarquillés devant l’écran. Vincent Defrasne tire : 2 fautes. 18/20 au total, et un stress supplémentaire. Oui, un stress, car l’ogre Bjoerndalen vient de réaliser seulement une faute. Il ressort avec seulement 6 secondes de retard sur le Français !



Bjoerndalen et Defrasne dans le dernier tour de la poursuite des jeux olympiques de Turin. Defrasne s'accroche aux skis de Bjoerndalen


Crédit : Nordicmag.info



Très vite lors du premier intermédiaire de la dernière boucle, Bjoerndalen va boucher son retard. Il passe à 1,5 secondes de Vincent Defrasne à 11km de l'arrivée puis revient à 1km de la fin... Avant de le dépasser ! Vincent Defrasne le sait, il doit relancer et s’accrocher jusqu’au bout, s’il perd le contact il ne reviendra jamais ! Il raconte : « L’été lors de ma préparation je me disais tout le temps, tu peux battre tout le monde, je me le répétais, c’est ce qui a compté pour battre Bjoerndalen. Lors d’un entrainement particulièrement difficile, je me disais toujours, tu pousses 3min pour aller chercher Fischer, puis 3min pour Tchoudov, puis encore 3min pour Poirée et enfin encore 3min pour Bjoerndalen ».


3 minutes. C’est exactement ce qu’il lui aura fallu pour résister à la menace norvégienne, pour éviter de perdre le contact, la course et donc l’or olympique. Vincent Defrasne s’accroche, s’arrache et reste dans les skis du norvégien. Il reste un virage, 200 mètres avant l’issue finale. Mais comme un coup du sort, le français trébuche sur les skis de son adversaire, il prend 3 mètres de retard, les commentateurs s’exclamant « il a fait l’erreur qu’il ne fallait pas faire ! ». Plus tôt dans la course ces derniers déclaraient « celui qui sera en tête à la sortie du dernier virage sera déclaré vainqueur » … peut-être.


Cependant, ce samedi 18 février 2006, Vincent Defrasne ne l’entendra pas de cette oreille. Il n’est pas seulement derrière Bjoerndalen au dernier virage, il a cinq mètres de retard à cause du désagrément de sa presque-chute. Difficile de savoir ce qu’il se passe dans sa tête à ce moment-là, d’autant que, pour accentuer la dramaturgie de l’instant, aucun biathlète masculin français n’avait encore remporté de médaille d’or. Il serait le premier. Malheureusement pour les observateurs, 5 mètres de retard à 200m de l’arrivée derrière le meilleur skieur de la période pour un Vincent Defrasne, éméché qui a tant lutté. Autant mentalement que physiquement, c’est perdu.


Perdu ? La suite, Defrasne se chargera de l’écrire. Il confiera dans une interview accordée à interviewsport « ma presque-chute m’a donné un coup de boost ». Lancé comme transcendé par la ligne droite interminable du stade de la commune de San Sicario, il en oublie la fatigue et la douleur. C’est l’or qui l’attend au bout de la ligne droite. Il sprint, il regarde devant, il le dépasse. C’est la victoire. Vincent Defrasne dira s’être « préparé autant techniquement que mentalement pour une arrivée au sprint » cependant, il ne pensait pas que ce serait contre le meilleur skieur de la planète biathlon.


Bjoerndalen reste le biathlète le plus médaillé de l’histoire des jeux avec 13 médailles dont 8 en or. C’est également l’athlète avec le plus de victoires en coupe du monde (95 !). Vincent n’en compte que 3, à titre de comparaison. Sur la coupe du monde pour les sports d’hiver, il existe deux types de sacre. Le « Petit globe » qui est une récompense lorsque l’on arrive en tête d’un classement d’un type de course (exemple : sur l’épreuve du sprint). Le « Gros globe » quant à lui récompense le meilleur biathlète sur la totalité des épreuves et qui constitue le classement général, on y retrouve (sprint, poursuite, individuelle, départ en ligne). Ainsi, un biathlète peut ne remporter aucun « petit globe » mais remporter à la fin le gros globe si ce dernier est très régulier dans ses performances sur les 4 disciplines que constitue le biathlon individuel.


Soit, si Vincent Defrasne a remporté uniquement le « petit globe » de l’individuel en 2008… Bjoerndalen quant à lui a remporté un total de 25 globes, petits et grands confondus dont 6 fois le gros globe constituant le vainqueur du classement général. Pire encore, Bjoerndalen dépasse l’entendement, avec 44 médailles acquis aux championnats du monde de biathlon dont 20 médailles d’or. Pour finir, il possède le plus gros palmarès d’un sportif aux jeux olympiques d’hiver. Tout simplement.


La performance de Vincent Defrasne est donc une prouesse autant sur l’aspect physique que mental. Ole Einar Bjoerndalen sort des jeux de Salt Lake city avec un « clean sheet » à la biathlète. 4 médailles d’or acquises sur le sprint ; poursuite ; individuelle ; relais (le départ en ligne n’était pas encore au programme des jeux d’hiver). Là où certains auraient joué la deuxième place à 1 km de l’arrivée, jusqu'au bout Vincent Defrasne a tout tenté : « c’est une belle leçon de se dire que même les gens qu’on estime invincibles ne le sont pas » dira t’il après coup.


La course et le sprint final en vidéo



L’après Turin 2006 : une carrière en dent de scie


Finalement, les carrières des deux protagonistes seront bien différentes. Si Ole Einar Bjorndalen continue d'épater le monde du biathlon en fructifiant son palmarès (il ira jusqu'à glaner une médaille d'or sur le sprint des jeux olympiques de Sotchi en 2014... à 40 ans !) et prendra sa retraite en 2018 à l'âge de 44 ans, celle de Vincent Defrasne sera commune. Une médaille de bronze acquise à la poursuite des mondiaux de 2008 ainsi que la consécration et la reconnaissance du peuple français puisqu’il sera le porte-drapeau des jeux olympiques d’hiver 2010 à Vancouver. Des jeux olympiques, où il revient sans médaille. Il raconte y avoir vécu « son pire cauchemar » après avoir planté le relais homme. Des jeux olympiques qui marquent l’avènement d’un petit jeune llagonnais du nom de Martin Fourcade (21 ans) qui remporte sa première médaille internationale chez les grands avec la deuxième place sur le départ en ligne.



Ole Einar Bjoerndalen sur le sprint des jeux olympiques de sotchi en 2014


Crédit : getty images.


Retraité des pistes depuis 2010 à l'âge de 33 ans, il opérera des postes de coordinateur du programme d’athlètes modèles au comité international olympique de 2011 à 2016. En parallèle, il occupe un poste de directeur de la fondation Somfy (son équipementier de 2005 à 2010 lorsqu’il était professionnel) de 2011 à 2019, dans le but de s’engager auprès des personnes qui souffrent de situation de mal logement.


Finalement, depuis 2020, Vincent Defrasne s’investit dans le marché éco-responsable non loin des pistes de ski en fondant la marque AYAQ (vêtements éco-responsables et techniques fabriqués en Europe pour la pratique du ski et des sports de montagne) lui permettant de ramener la sensibilisation de la cause environnementale, si importante pour lui.

Vincent Defrasne portant les vêtements de sa marque AYAQ


Credit : Le Progrès



Sources :


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