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Rwanda : le football pour redorer l’image du pays

Dernière mise à jour : 4 août 2022

Il y a quatre ans déjà, ce petit pays d’Afrique centrale signait un contrat avec le prestigieux club d’Arsenal pour être visible aux yeux du monde entier et ainsi panser les plaies du passé.


Le PSG a ouvert un centre qui accueille 184 jeunes joueurs au Rwanda. Ici le Président Paul Kagame ballon au pied. Crédit : flickr.com


À L’Etihad Stadium ce 12 août 2018, les supporters peuvent être déçus : leur équipe vient de s’incliner contre Manchester City à domicile sur le score de 2-0. Pourtant, le deuxième vainqueur de cette rencontre se trouve sur le maillot d’Arsenal : il s’agit du sponsor “Visit Rwanda” sur les manches, promis à une visibilité colossale grâce au club de Londres. Un peu plus tôt dans cette année 2018, le Rwanda a signé un contrat avec les Gunners. À l’origine de ce deal, Paul Kagamé, le président du pays et supporter du club. Un an plus tard, c’est avec le Paris Saint-Germain qu’un partenariat est trouvé pour “promouvoir le tourisme” au Rwanda. Selon “une source proche du club français” (France 24), le contrat permettrait au PSG de recevoir 8 à 10 millions d’euros de la part du Rwanda mais cela n’a pas été totalement confirmé. Depuis quelques années, Paul Kagamé souhaite donner une image positive du territoire rwandais, encore marqué par le génocide de 1994. Et qui de mieux que deux clubs connus dans le monde entier pour être le reflet de cette image ?


Une porte d’entrée vers de nouveaux marchés


Pendant quelques saisons, les supporters et téléspectateurs pouvaient lire “Azerbaïdjan Land of fire” sur les tuniques de l’Atlético Madrid, Lens et Sheffield Wednesday. Mais l’idylle a vite pris fin : Reporters Sans Frontières dénonce dès 2014 la répression liée à la presse par le président azerbaïdjanais (toujours en poste aujourd’hui). Ce cas se rapproche un peu du Rwanda de Paul Kagamé, accusé de limiter la liberté d’expression.


Sauf que le contrat du pays d’Afrique est toujours d’actualité. Ce dernier peut donc tisser de nouvelles relations. En négociant avec le PSG et Arsenal, le Rwanda se donne le droit d'accéder au marché des Émirats Arabes Unis et de la Chine. "Cela leur permet d’avoir une ouverture sur la Chine car le PSG est présent en Chine. L’impact économique ne peut pas encore être mesuré à cause du contexte sanitaire mais il faudrait voir dans les années à venir", précise Luc Arrondel, économiste du sport. Les échanges avec le Qatar se sont également intensifiés. L’hôte de la Coupe du Monde 2022 donne des visas d'un mois pour les touristes Rwandais sans trop de difficultés et le futur aéroport proche de Kigali est financé en partie par Qatar Airways. La compagnie va d’ailleurs en récupérer 60% des parts.


En nouant de telles relations, le Rwanda peut exporter massivement son or local : le thé et le café. Une "stratégie simple" pour Luc Arrondel, "vu que le PSG et Arsenal sont des clubs connus à l’international, le Rwanda a intérêt de viser ce genre de marchés. Ils utilisent le football comme nation branding à l’image du Qatar ou de l’Arabie Saoudite. Ce contrat est quand même conséquent mais pour le PSG et Arsenal, il ne représente pas un gros poste budgétaire. Ainsi, ils peuvent développer autre chose que le tourisme”.


Le Rwanda est le sixième pays d’Afrique en 2020 à concentrer le plus de start-ups, avec 11,6 millions de dollars investis en capital-risque. Ce pays, pauvre en termes de ressources naturelles, s’appuie sur la Chine pour obtenir des investissements (134 millions d’euros d’échanges de bien en 2017). À savoir si cela suffira pour que Paul Kagamé soit totalement prophète en son pays. Le sport est un bon moyen de montrer une image positive d'un pays, souvent pour cacher l'envers du décor.


L'Atlético Madrid a été sponsorisé par l'Azerbaïdjan de 2013 à 2018. Crédit : marca.com


Un président clivant…


Ce contrat signé avec le PSG et Arsenal peut s'apparenter comme un gros coup de communication, mais peut également réellement être bénéfique pour le pays si le tourisme explose. Paul Kagamé aura alors réussi son pari : faire oublier qu'il est critiqué tout en plaçant le Rwanda sur une carte. En poste depuis 2000, il est d’un côté considéré comme héros pour son rôle dans la rébellion durant l’ère génocidaire (1994) mais aussi comme un président autoritaire, faute d’opposition aujourd’hui et de liberté de penser. Avec ses pays voisins, l’entente oscille entre vraies discussions (Burundi) et absence de communication totale (Ouganda, Centrafrique, République Démocratique du Congo et Mozambique).


Jeune, il s’engage dans le Front patriotique rwandais (FPR) pour lutter contre la répression des Tutsis en période de génocide. Vu comme un véritable sauveur, son élection est unanime au début du millénaire. Mais ses actions en RDC de 1993 à 2003 restent floues et selon le classement de Reporters sans frontières en 2021, la liberté de la presse au Rwanda est 156ème sur 180. Respecté par les autres dirigeants africains, il a également poussé la France à reconnaître le génocide. Réélu en 2017, Kagamé brigue un troisième mandat après un changement de la Constitution effectué en 2015.


Sa stratégie de développement économique pour sortir de la pauvreté à partir de 2008 s’avère payante cependant : croissance de 7,2% et PIB par habitant qui augmente de 5% par an. Le taux de pauvreté a baissé tout comme le taux de mortalité maternelle et les inégalités sociales. Même si l'indice de développement humain reste bas (160ème sur 189 pays PNUD 2020), le taux d’alphabétisation a atteint 73% en 2020. En 2019, 1,6 million de touristes ont été accueillis. Depuis 2012, le Rwanda développe aussi le tourisme d’affaires pour attirer des investisseurs étrangers. Bémol, 62 % de la population travaille dans l'agricole (ce qui représente 31% du PIB) et n’est pas impliquée dans ce secteur.


…mais un pays en constante progression


Le ballon rond permettrait alors de trouver le chemin des filets d'une nouvelle activité : le tourisme. Rien que dans l’Akagera National Park, les visiteurs se sont multipliés, passant de 8 000 personnes en 2010 à 44 000 en 2018 selon les chiffres de African Parks, le gérant de ce parc naturel. D'après les autorités rwandaises, le tourisme venant du Royaume-Uni aurait augmenté de 5% depuis la signature du contrat. "Ce genre de deal permet de faire connaître le Rwanda et peut en faciliter la signature d’autres pour exporter ou importer des produits dans ou en dehors du pays", visualise Luc Arrondel.


Ce sponsorship est un moyen d’aider le Rwanda à tourner la page du génocide de 1994 même si celui-ci coûte des millions au pays chaque année. À travers la publicité de ces deux clubs européens, les supporters peuvent avoir envie de jouer les touristes. Dans le territoire, l’équipe nationale pourrait enfin connaître de grandes compétitions internationales, elle qui n'a participé qu’à une seule Coupe d’Afrique des Nations, en 2004. Les vidéos postées des camps d’entraînements du PSG et Arsenal permettent aussi aux jeunes footballeurs locaux de venir jouer et ainsi ancrer le football culturellement dans le pays.



L'Akagera National Park est l'un des plus grands en Afrique. Crédit : africanparks.org


Le football au Rwanda, entre histoire coloniale…


Colonie allemande à partir de 1885 puis belge à partir de 1923, le Rwanda obtient son indépendance entre 1959 et 1961. Le football apparaît dans les années 1920 via l’éducation religieuse des Rwandais. En vingt ans, des équipes se créent à travers le “pays des mille collines”. Le stade Amahoro de Kigali est totalement construit en 1986 et contribue à l’émergence du ballon rond grâce, notamment, à des matchs de nuit. En décembre 1988, les rencontres sont commentées à la radio.


La Fédération rwandaise de football amateur (Ferwafa) prend petit à petit le contrôle du jeu et six compétitions voient le jour en quatre ans (1986-1990). Les équipes restent amateures même si certains joueurs, comme Issa Ngeze ou Célestin Gasangwa, ont pu se frayer un chemin dans leur vie professionnelle grâce aux déplacements effectués avec leur équipe, notamment à Kigali. Il n’y a donc pas de modèle économique propre au football. Sept équipes constituent la première division en 1990.


Mais le 1er octobre 1990, une première attaque du Front patriotique rwandais (FPR) contre le parti unique à l’époque, le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND) met le feu aux poudres. Les compétitions sont suspendues dès le 8 octobre 1990 et reprennent seulement en mai 1992. Le football devient politique alors que les tensions montent dans le pays. Certains joueurs, selon leur ethnie Hutu ou Tutsi, rejoignent les branches armées des différents partis. Dans les tribunes des stades, des violences éclatent entre mai et décembre 1992. Un avant-goût déjà -dans le monde du ballon rond- de l’horreur qui suivra.


La sélection Rwandaise est actuellement troisième de son groupe de qualifications pour la CAN 2023. Crédit : sportnewsafrica.com


…et génocidaire


Dans un article publié en 2012, Hélène Dumas, historienne du CNRS, montre que le football se popularise à l’époque du génocide grâce aux médias. Les matchs se multiplient mais le massacre approche. En Europe, quasiment au même moment, la guerre des Balkans fait rage. L’anthropologue serbe Ivan Colovic avait développé une thèse sur les supporters de l’Étoile rouge de Belgrade qui étaient rapidement passés des tribunes aux champs de bataille en formant une milice. Le même schéma semble s’être répété au Rwanda.


Un club en particulier se démarque alors, celui de Rayon Sports. Appartenant à de riches commerçants, cette équipe de la Province du Sud ne fait pas le jeu de la politique. Avec ses déplacements à l’étranger pour disputer les compétitions intercontinentales, Rayon Sports devient très populaire sans avoir une identité régionale ou ethnique marquée.


Sauf que ce dernier souffre des tensions entre Hutus et Tutsis ; accusé d’être à la solde du FPR par exemple. Après des victoires contre d’autres équipes du continent, ils sont accueillis comme des héros lorsqu’ils reviennent au pays. Les milices ont pu se construire grâce aux recrutements de supporters (Abafana) et aux clubs déjà à la solde du parti unique de l’époque (MRND). Rayon Sport a même été la cible de la milice Interahamwe parce que cette dernière voulait se renforcer, mais les supporters les ont rejetés pour que le football ne ressorte pas de ce génocide avec du sang sur les mains.



Sources :


France 24 - Le Rwanda signe un accord avec le PSG pour promouvoir le tourisme

















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