Jusque-là cantonné aux sous-bois, à la boue et au sable, voilà que le cyclocross s'est montré, le 12 décembre, sous un nouvel habit de lumière. Dans le décor blanc de Val di Sole, étape italienne de la Coupe du monde de Cyclocross, c'est une course d'un genre unique qui s'est déroulée sur le revêtement enneigé d'un parcours de ski nordique. La programmation de cette nouvelle étape dans le circuit de Coupe du monde n'est pas anodine pour l'UCI (Union Cycliste Internationale), c'est une vitrine pour sprinter droit vers les Jeux Olympiques d'hiver.
LE CYCLOCROSS, PETIT FRÈRE DE LA ROUTE Le cyclocross prend la relève de la route aussitôt la saison terminée et ce jusqu'à sa reprise, souvent en février. Les spécificités de la discipline changent quelque-peu. Le vélo est similaire à celui de la route mais il est orné de pneus cramponnés. Les courses durent une heure sur des circuits de 1,5 à 3 km.
Les conditions climatiques sont parfois apocalyptiques, principalement pluvieuses et boueuses, l'effort est d'une intensité violente. Les parcours sont techniques, on retrouve des virages, des buttes, des dévers, du sable ou encore des portages. Cela ne demande pas seulement une condition physique irréprochable, mais aussi un maniement de sa machine extrêmement pointu.
C'est également un vrai travail d'équipe. Les coureurs se déplacent avec un gros camper (un camion qui fait office de base de vie du coureur), un staff rodé et deux mécaniciens qui les attendent dans les zones techniques afin de gérer l'assistance technique générale.
Marianne VOS en plein échauffement dans son camper - Crédit photo : https://cyclephotos.co.uk
Institution en Belgique et aux Pays-Bas, partout ailleurs le cyclocross souffre néanmoins de l'ombre que lui fait le cyclisme sur route. C'est le cas en France où les équipes professionnelles sur route voient d'un mauvais œil d'envoyer leurs meilleurs éléments sur le circuit de cyclocross.
Et pourtant, les exemples de Wout van Aert, Mathieu van Der Poel (deux monstres sacrés des labourés) ou encore Tom Pidcock pourraient faire réfléchir sur l'apport du cyclocross. Ces trois athlètes font partie des meilleurs routiers et pour les deux derniers des meilleurs vététistes. Ils ont tous un point en commun : depuis de nombreuses années, on les retrouve quasiment chaque week-end dans les sous-bois.
Comme son grand frère, le cyclocross a des ambitions olympiques mais il est confronté à deux problèmes majeurs, lui rendant très compliquée son arrivée dans l'une des deux Olympiades (été ou hiver). Son ADN le rend unique mais est aussi l'un de ses plus grand freins à son accessit olympique. La période tout d'abord, de septembre à février, qui le rend inéligible à l'intégration lors des JO d'été qui se déroulent en août. Qui plus est, le cyclisme est déjà très bien représenté (Route, VTT, BMX, Piste). Et quand ce n'est pas la période qui pose problème, car le cyclocross est éligible à celle des JO d'Hiver, c'est plutôt ses caractéristiques qui viennent lui mettre des bâtons dans les roues. En effet le CIO (Comité International Olympique) donne la priorité aux sports dont la glace ou la neige sont les éléments moteurs et principaux d'une discipline. C'est en tout cas la réponse qui leur avait été avancée, lorsqu'en 2014, l'UCI avait fait part de son envie d'inscrire le cyclocross au programme des Jeux Olympiques d'Hiver.
VAL DI SOLE, LA LIGNE DE DÉPART OLYMPIQUE ? Lancée depuis quelques temps dans une campagne de promotion, l'UCI a largement accélérée le rythme pour faire du lobby auprès des instances olympiques. Déjà l'an dernier devait se tenir une Coupe du monde entièrement enneigée à Villars en Suisse, mais c'était sans compter sur la pandémie mondiale qui se jouait. Cette saison c'est donc Val di Sole qui prenait le relais, un parcours immergé dans le centre de Ski nordique de Vermiglio à 1261m d'altitude. Malgré la défection de l'une des équipes phares du circuit (Baloise Trek Lions), certains des meilleurs athlètes y participaient, le leader de la Coupe du Monde, Eli Iserbyt et surtout les deux stars mondiales Wout van Aert et Tom Pidcock.
Dans un décor exceptionnel, c'est d'ailleurs le Belge qui l'emportait dans une course où les qualités d'équilibre et de pilotage étaient inhérentes à la réussite. Chez les filles, dans un final haletant, Marianne Vos s'apprêtait à offrir un doublé à la Jumbo Visma mais sa chute finale offrait une première victoire à la Néerlandaise Fem Van Hempel.
Le parcours de ski nordique revêt un avantage non négligeable pour ce type d'évènement. D'abord, les coureurs ont pu profiter de l'expertise des locaux préposés à la préparation de la neige, une neige naturelle, bien damée à certains endroits, plus glacée à d'autres. Ensuite, la variété proposée par le milieu naturel, avec une première partie de course axée sur la technique et une seconde beaucoup plus physique avec pour difficulté principale une petite butte que les plus habiles pourront passer à vélo.
Un écrin blanc pour cette nouvelle Coupe du Monde à Val di Sole - Crédit photo : https://cyclephotos.co.uk/
Pour ce qui est du retour des athlètes, le vainqueur du jour déclarait : "Cela a prouvé que tu peux faire du cyclocross partout où tu veux. Tu peux en faire dans le parc d'une des plus grandes villes du monde ou tu peux le faire dans les montagnes comme aujourd'hui. Je pense qu'on a démontré beaucoup aujourd'hui et je suis satisfait d'en avoir fait partie".
Tomas Van den Spiegel, CEO de Flanders classics et organisateur des Coupes du monde de Cyclocross se réjouissait quant à lui : « des dix dernières années, il n’y a jamais eu autant de discussions autour du cyclocross que pour cette course, dans la neige et avec un retour en Italie. Le cyclocross est vivant et nous devons le supporter. » Ce dernier se veut également rêveur et semble conscient de l’ampleur de la tâche : « Nous devons avoir le courage de rêver. Le cyclisme est un sport aussi pratiqué en hiver mais pour les JO, la discipline doit être capable de continuer sur la neige et la glace. Ça ne tient qu’à nous de prouver que c’est possible.»
Le choix de l’Italie n’est d’ailleurs pas anodin car c’est à Milan Cortina que se dérouleront les JO d’Hiver de 2026, date à laquelle le cyclocross pourrait être d’abord sport de démonstration avant de pouvoir espérer une intégration pour les suivants en 2030.
LE SPRINT FINAL VERS 2030 Derrière cette volonté de devenir sport olympique se cachent de nombreux enjeux pour le développement du cyclocross. Discipline phare en Belgique et aux Pays-Bas où les équipes professionnelles sont légions, dans le reste du monde, la discipline ne vit qu’aux travers de passionnés prêts à investir de leur temps et leur argent. En France par exemple, il existe quelques team UCI mais une seule équipe professionnelle depuis deux ans (CrossTeam Legendre).
L’objectif pour l’organisateur Van den Spiegel est ambitieux : « Le cyclocross doit se réinventer, sinon en 2030, il risque d’être marginalisé. » Les changements dans le calendrier de la Coupe du Monde seront cruciaux selon lui : « Flanders Classics ne veut plus seulement limiter le cyclocross au difficile parcours boueux flamand. Nous devons avoir le courage de regarder au-delà. »
Cette année, les Coupes du monde se sont tenues pour la majeure partie en Belgique et aux Pays-Bas, les étapes restantes se sont partagées entre la France, les États-Unis, l’Italie et la République Tchèque. Une partie du développement du cyclocross et de sa visibilité passe donc par une internationalisation du circuit, une Coupe du monde en Grande-Bretagne devrait d’ailleurs venir renforcer la crédibilité.
Wout van Aert , dominateur cette saison, file seul au loin vers la victoire - Crédit photo : https://cyclephotos.co.uk/
L’enjeu olympique est aussi et surtout financier car l’entrée d’une discipline dans l’Olympisme est un vrai levier économique. C’est en tout cas ce que soulève Tom van Damme, président de la Fédération belge de cyclisme, pour qui il y aurait une augmentation des aides financières pour les athlètes de cyclocross si le sport devenait olympique. Il prend l’exemple du VTT (sport olympique) : « C’est aussi une des raisons pour laquelle le VTT a pris le dessus sur le cyclocross dans de nombreux pays. Ils reçoivent des aides. Les athlètes qui visent les JO sont plus enclins à recevoir des bourses. Ça n’est pas partout comme en Belgique où les stars sont bien payées. Dans beaucoup d’autres pays c’est plus un hobbie payant. »
C’est le même constat pour Sven Nys, ex multiple champion du monde et dirigeant de la Trek Baloise Lions, qui ne voit aucune limite pour le cyclocross si celui-ci devient olympique. En effet, si tel est le cas, les autres Fédérations investiront dans le cyclocross comme peuvent le faire Belges et Hollandais. Il prêche d’ailleurs sa paroisse : « Il y a beaucoup de pays au départ d’une course de cyclocross, ce qui est important pour en faire un sport olympique. Le cyclocross est un sport encore plus télévisuel que le VTT, il est moins cher à diffuser et il est attractif. Il rentre parfaitement dans un format olympique ». Reste à savoir si les arguments et les efforts effectués en direction du développement du cyclocross en feront un candidat idéal pour enfiler le costume olympique.
Sources
https://www.italy24news.com/sports/cycling/175031.html
https://www.velonews.com/news/cyclocross/uci-continues-push-for-cyclocross-to-become-a-winter-olympic-sport/
https://dodofinance.com/sven-nys-if-cyclo-cross-becomes-an-olympic-sport-the-sky-is-the-limit-the-stall/
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