PARTIE 2 de l'interview : Histoire et évolution du baseball
A l'occasion de la sortie du livre Une histoire populaire du Baseball, 10 pionniers(ères) qui ont fait évoluer la société à travers leurs parcours hors normes, nous avons interviewé son auteur Gaétan Alibert. Policier au quotidien, il s'investit dans le monde du baseball en tant que chroniqueur pour le site The Strike Out, sur le blog esprit du Criket ou encore sur les podcasts Hype et culture baseball. Il est également bénévole à la fédération française de baseball/softball. Dans un long entretien, il revient pour Histoire de sport sur sa passion du baseball, l'évolution de ce sport et les histoires dont il regorge.
Propos recueilli par Nicolas Georgeault
Qu'est-ce que ces dix portraits de personnalités nous disent de leur époque ?
"C'est un des objectifs du livre et une des raisons pour lesquelles le baseball me passionne. Ce n'est pas simplement une discipline qui serait déconnectée de la société mais qui a, au contraire, toujours eu des liens extrêmement étroits avec le pays dans lequel il est un sport majeur et particulièrement aux Etats-Unis. Aux USA, il a été plus qu'un sport, il a participé à créer une mythologie, parfois en surinvestissant certaines choses dans ce sport, je pense notamment à la guerre de Sécession. Le baseball était vu comme une sorte de trait d'union entre le Nord et le Sud, une passion partagée entre les Etats qui s'étaient fait la guerre pendant plusieurs années. Ce n'est pas vrai que le baseball a été une passion qui a résolu tous les problèmes des Etats-Unis, ce serait lui donner un peu trop importance. Mais il a quand même eu une fonction majeure dans la société, notamment pour les noirs-américains qui l'ont investis plusieurs fois pour revendiquer leur place dans la nation américaine, dès la fin de la guerre de sécession d'ailleurs et jusqu'à ce que Jackie Robinson brise le mur de la couleur en 1947.
Donc oui, c'était important pour moi de montrer que le baseball c'est plus qu'un sport. Il a une signification politique et culturelle énorme. Alors, un peu moins aujourd'hui parce que le basket et le football américain ont pris une dimension très importante mais ça reste quand même à part aux Etats-Unis, de part son ancienneté, la richesse de son histoire."
Qu'est-ce que ces dix portraits nous disent aussi de l'être humain ?
"Les différentes facettes que peut avoir un être humain. Je vais prendre un exemple, Adus Spalding. Il a beaucoup fait pour le baseball, il a été déterminant pour faire du baseball ce qu'il est aujourd'hui puisqu'il est à la base de la Major League Baseball. Le baseball se professionnalise très très tôt après la codification des règles par Alexander Cartwright en 1845. On a la première ligue pro en 1871 et puis la National League en 1867.
Adus Spalding a été déterminant dans tout cela. C'est lui aussi qui va permettre au baseball de créer toute cette mythologie de la jeune nation américaine. Parce que l'Amérique après la guerre de sécession elle doit se reconstruire après les morts, au niveau de l'économie, au niveau de la politique mais aussi au niveau des esprits, de la culture. Et Adus Splading va faire beaucoup là-dessus donc c'est à mettre à son crédit. Mais c'est aussi quelqu'un qui va participer à la mise en place de la ségrégation dans le baseball professionnel à partir de 1887, notamment en soutenant son capitaine qui est le gros moteur de cette ségrégation qui s'appelle Captensen. Il a créé un sport qui était censé être un sport d'union nationale face au génie américain et en même temps il a apporté la ségrégation donc cette cassure au sein de ce sort qui était censé être celui de l'union nationale.
L'autre personnalité à laquelle je pense c'est Amanda Clement. Arbitre féminine au début du XXème siècle à une époque où les femmes ne sont pas censées avoir un poste d'autorité. Elle va être reconnu à ce poste d'autorité grâce à ses compétences. Elle était très religieuse et n'était pas forcément dans la revendication au niveau de sa place en tant que femme dans la société. Elle voulait simplement exister en tant que telle, ce n'était pas une militante féministe mais pourtant elle a eu un impact très important en montrant qu'une femme pouvait avoir un poste à responsabilité. Donc je trouve que le livre montre des personnes qui peuvent avoir différentes facettes, parfois des facettes opposées. Mais ils expliquent aussi la richesse du baseball au sein de la grande histoire, notamment américaine."
Est-ce qu'il y a une de ces dix personnalités qui vous a particulièrement marqué ?
"Il y a une personnalité que j'apprécie. Moi qui suis fan des Yankees, lui c'est une icone des Red Sox, donc le grand rival, la plus grande rivalité du sport américain. Mais avec qui je me trouve beaucoup d'affinité, c'est Bill Lee surnommé Spaceman parce que c'est un des rares joueurs militants dans l'histoire de la MLB. Souvent on peut avoir des joueurs assez revendicatifs ou militants après leur carrière, justement quand ils n'ont plus le poids d'être joueur. Je pense notamment à Jackie Robinson qui avait le poids d'exemple lorsqu'il était joueur et qui était beaucoup plus radicale dans sa pensée politique après avoir quitté les terrains. Non, Bill Lee, il l'a été très rapidement. Ce qui lui a parfois porté préjudice, ce qui explique pourquoi sa carrière a été écourté en étant blacklisté. J'adore ce joueur qui est encore en activité et qui très récemment à l'âge de 75 ans a lancé dans un match professionnel indépendant. Vraiment, je suis admiratif de son parcours et ça a été le chapitre le plus dur à écrire, il est très long parce que c'est vraiment une odyssée des années 1960 jusqu'au années 1980 au sein de l'histoire américaine. Mais c'était aussi le chapitre le plus passionnant à écrire.
L'autre à qui je pense c'est forcément Effa Manley qui est la seule femme élue au Hall of Fame américain actuellement et qui dirigeante des Negro League, ces ligues noires créées au moment de la ségrégation dans les années 1920. Elle a été une grande dirigeante dans les années 1930 jusque dans les années 1960. Elle a, à la fois été une passionnée de baseball et une fervente militante pour les droits civiques et qui a su concilier les deux. "
Pourquoi en France le baseball rencontre un succès aussi marginal ?
"L'histoire du baseball français est assez riche et contrastée bien qu'elle soit ancienne. On trouve les premières phases du jeu à la fin du XIXème siècle avec notamment les étudiants américains en art qui venaient en région parisienne ou en Normandie. Ils vont jouer au baseball en France de manière improvisée et amateur et puis on a le premier match officiel, le 18 mars 1889 à Paris lors de la tournée des Etats-Unis World Tour. Avec les futurs Chicago West qui à l'époque s'appelle les West King et une sélection d'autres joueurs de la Ligue majeur. La présence du baseball est très ancienne mais c'est une montagne russe c'est-à-dire qu'elle a connu des montées en puissance où le jeu attirait du monde et des moments où il a quasiment disparu, parfois à cause des Guerres Mondiales que l'on a subi.
On a une première phase de croissance dans les années 1910 que stoppe la Première Guerre Mondiale. Cela ne permet pas d'initier les Français au baseball qui en 1918 était devenu le sport officiel de l'armée française. On a une nouvelle montée en puissance dans les années 1920, début des années 1930, puis il y a la Seconde Guerre Mondiale. Le baseball ne disparait pas, il va se pratiquer pendant l'occupation mais il ne pas pouvoir se développer. Les années 1920 c'est la création de la fédération française en 1924.
Puis on va avoir les années 1980-90 où il y a une hype autour des sports américains et le baseball va en bénéficier. Bon après il y a eu des problèmes, on va dire structurel et interne qui ont fait que cette dynamique n'a pas pu perdurer. Actuellement, on est sur la dernière phase puisqu'on vient d'atteindre un record du nombre de licenciés de baseball et de softball en France. La fédération est à un peu plus de 13 500 pratiquants et pratiquantes en comptant un petit peu aussi le cricket. Donc là on est dans une bonne phase de croissance.
"Le baseball français a affronté différentes difficultés : je l'ai dit les Guerres Mondiales et les problématiques internes au sport français. Le baseball étant un sport américain et professionnel, eh bien le mouvement sportif français était très réticent. Notamment tous les partisans de Pierre de Coubertin qui était pour un sport élitiste, à l'anglaise, amateur. Le baseball qui permettait en plus au masse populaire de prendre l'ascenseur (social), ça ne leur plaisait pas trop. Cette approche de Pierre de Coubertin qui a créé la fédération française pour justement avoir la main sur le développement de ce sport ou plutôt son non développement. Donc plein de difficultés ce sont aussi mis en place au fil du temps mais qui n'ont pas permis au baseball de se développer contrairement à d'autres sports venues des Etats-Unis, je pense au basket. On travaille au quotidien avec la fédération, la communauté de fan, les médias spécialisés pour changer ça mais c'est sur qu'il y a encore beaucoup de préjugés autour du baseball à abattre."
Comment le baseball a-t-il évoluer au fil du XXème puis XXIème siècle ?
Le Baseball étant un sport qui est l'héritier des sports de balles et de battes qu'on trouvait un peu partout en Europe particulièrement en Angleterre avec le cricket. Les jeux de battes et de balles qui ont une affinité avec le baseball on en trouve même chez les vikings, c'est pour dire ! Et donc il va se modifier en 1845, dans les grandes villes américaines particulièrement. Au départ à New-York parce que les habitants sont en recherche d'activité sportives pour se sortir psychologiquement de ces villes qui se construisent et deviennent tentaculaire avec des logements les uns sur les autres, ça devient irrespirable. C'est la révolution industrielle donc on a pas beaucoup de temps libre... On a besoin d'un sport qui nous permettent de s'émanciper de tout ça.
Après la Guerre de Sécession, il va prendre la particularité d'être un symbole d'union nationale, partagé par tous, y compris par ceux qui se sont fait la guerre de manière meurtrière durant la Guerre de Sécession. Comme on est au pays du capitalisme forcément on va vouloir le monétiser et très rapidement il va devenir un sport professionnel. Mais en devenant un sport professionnel en plus d'être un sport d'union nationale forcément il va acquérir de plus en plus d'importance et être pendant très longtemps le sport roi, voire même l'activité majeure et centrale de la nation.
Après il y aura de la concurrence, notamment le cinéma mais pendant très longtemps les joueurs de baseball sont quasiment des Dieux ou des demi-dieu de la mythologie américaine. C'est une jeune nation qui doit se bâtir toute une histoire, toute une mythologie et le baseball, un peu comme pour les cowboys du Far West, va faire partie de ces personnes qui vont acquérir presque des rangs de demi-dieu grecque de par leur importance, le plus connu étant bien entendu Babe Ruth. Il va se développer comme étant vraiment centrale dans la nation américaine dans les bons et les mauvais côté : la ségrégation, les problématiques de scandales sportifs avec notamment le scandale des Black Sox qui va mettre au jour le lien entre les joueurs et les parieurs de la mafia.
A partir des années 1960 , on va voir de plus en plus la NFL, donc le football américain, puis un peu plus tard le basketball qui vont commencer à disputer cette suprématie au baseball. Alors le basket ne deviendra pas le sport numéro un au Etats-Unis mais ça va être le cas du football américain avec notamment la NFL qui au fur et à mesure dans les années 1970-80 va prendre le pas sur le baseball. Tout simplement parce que le baseball parle d'une Amérique d'avant ou d'une Amérique fantasmée, là où le football américain avec une vision beaucoup plus violente, guerrière du sport, va beaucoup plus parler à l'Amérique des années 1970-80 c'est-à-dire l'Amérique du Vietnam, l'Amérique de Reagan, des conservateurs.
Aujourd'hui le baseball reste un sport extrêmement important aux Etats-Unis derrière le football américain mais dans bien des villes derrière le basket. En France, on a souvent l'impression que le basket est le sport numéro un aux Etats-Unis, ce n'est pas le cas. Le baseball reste très souvent le deuxième sport dans certaines aires géographiques ou certaines grandes villes. En tout cas il y a une adhésion aux équipes qui est beaucoup plus profonde et beaucoup moins consommatrice qu'avec le basketball dans certaines villes. Mais voilà, il va beaucoup plus parler d'une Amérique d'avant, d'une nostalgie fantasmée, de l'Eden, du nouveau monde, la pastoralité alors que c'est un sport qui est né dans les villes hein (rires). Mais il y a tout un fantasme autour du baseball et de son terrain... Les relations filiales aussi ! La nostalgie, le retour du héros à la maison, c'est le principes des bases où pour marquer le oint il faut revenir à son point de départ. Tout ça parle d'une Amérique fantasmée pas toujours d'une Amérique d'aujourd'hui. "
Avec beaucoup de symboles...
"C'est un sport qui est éminemment symbolique culturellement et politiquement aux Etats-Unis oui. Et même dans les autres pays où il est un sport majeur comme Cuba ou le Japon. "
Pour conclure, est-ce que vous pourriez nous donner une anecdote sur une des dix personnalités qui n'est pas dans la livre ?
(Longue hésitation) "J'aurais du mal à trouver... J'aurais plus de facilité à parler des gens que je n'ai pas à réussi à mettre dans le livre !"
Sinon une anecdote sur une personnalité qui n'a pas été dans le livre
"Au-delà de la joueuse dont je parlais toute à l'heure qui s'appelait Lizzie Murphy, c'est vrai que je ne me suis pas attaqué aux grandes légendes de ce sport qu'on rencontre dans le livre. Il y a des joueurs dont j'aurais aimé disserter plus longuement. Il y en a deux qui me viennent en tête. Une tête d'affiche qui est Roberto Clemente parce que c'est une immense icône de la MLB. C'était un joueur extraordinaire sur le terrain et qui était d'une générosité incroyable. D'ailleurs j'en parle dans le livre mais c'est comme ça qu'il meurt. Il meurt d'un accident d'avion alors qu'il dépêche un avion au dernier moment pour aller secourir les victimes d'un tremblement de terre au Nicaragua. C'était un ardent militant des doits civiques, y compris après la fin de la ségrégation avec les problèmes qu'on peut rencontrer au début des années 1960 et au début des années 1970 chez les noirs américains en terme de racisme.
Et puis un autre qui est Moe Berg. Il était un joueur moyen de la MLB mais qui avait une personnalité incroyable : polyglotte, très intelligent et qui va terminer espion durant la Seconde Guerre Mondiale. Il va connaitre une fin de vie un peu plus tragique... Là aussi il y aurait eu beaucoup de choses à dire. Il aurait mérité un livre à lui tout seul ! "
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