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Interview Christophe Lemaitre : L'éternel retour


Christophe Lemaitre à l'échauffement ce 10 janvier (crédit photos : Matéo Benoist-Fritsch)

PARTIE 1 : la carrière


Lundi 10 janvier, le point de rendez-vous est fixé à 17 heures au stade Jacques Forestier. Aix-les-Bains l'a vu grandir, en tant qu'homme et en tant qu'athlète. C'est aujourd'hui dans ce stade municipal que Christophe Lemaitre prépare avec consistance la suite de sa carrière. Il arrive légèrement en retard, désolé pour la gêne occasionnée. Il explique que l'entraînement se déroulera finalement de l'autre côté de la ville, dans un gymnase froid et un peu désuet, mais encore adapté à ses entraînements de haut niveau. Christophe Lemaitre, entièrement vêtu d'équipements Asics, manipulant une amulette comme pour satisfaire son besoin de bouger, est prêt à accueillir les questions, pour un entretien à taille humaine.


Propos recueillis par Matéo Benoist-Fritsch


« Le but est de retrouver le meilleur niveau mondial »



Depuis 2016, on n'entend que trop peu parler de Christophe Lemaitre, comment vous sentez-vous physiquement aujourd'hui ?


« Physiquement très bien, la préparation foncière se passe bien cet hiver, pas de blessure ni de pépin quelconque à recenser. La reprise s'effectue tranquillement et on espère que ça va continuer. Depuis octobre c'est la grosse période avec beaucoup de quantité et de répétitions. C'est la période la plus ingrate, la moins évidente, mais elle est indispensable pour l'été. »


Justement quels sont vos objectifs pour l'été ?

« Comme le Covid a changé les choses ces deux dernières années, cet été il y aura deux événements : les championnats du monde à Eugene aux Etats-Unis et les championnats d'Europe à Munich. Le but étant de participer et de retrouver le meilleur niveau mondial, avec des minimas à réaliser qui seront les critères numéro un. Nous aurons jusqu'aux championnats de France pour réaliser ces minimas donc il faudra aller vite très tôt car la saison commence début mai. »


« En 2014, j'avais abattu une lourde charge de travail, […] sauf que mon corps ne l'a jamais acceptée. »


Triple champion d'Europe à Barcelone en 2010, double champion d'Europe par équipe en 2011 et médaillé de bronze aux mondiaux la même année sur 200 mètres en 19''80. Record d'Europe du 100 mètres en 2011 également, à Albi, en 9''92. Beaucoup vous qualifieront comme le « premier blanc sous les 10 secondes », ce qui vous agacera. Vous êtes réputé comme réservé, timide et humble, comment viviez-vous la réussite et la notoriété de l'époque ?


« La réussite, je l'ai vécue sereinement. C'était dans mes objectifs de continuer à faire descendre les chronos. J'étais juste heureux de les réaliser. La notoriété, je l'ai vécue simplement, j'ai continué à faire ma vie normalement, à faire mes études au lycée d'Aix les Bains, je ne me prenais pas la tête. Quand je sortais dans la rue, je gardais mes habitudes. »


A la suite de cette période faste, blessures et malchance vont s'accumuler. Quelle a été votre réaction vis-à-vis de ces déceptions ? L'espoir du plus haut niveau était-il toujours présent ?

« L'objectif de revenir au plus haut niveau était présent oui, surtout sur l'année 2014. J'avais abattu une lourde charge de travail pour justement recouvrer ce niveau avec en ligne de mire les championnats d'Europe de Zurich, où là je voulais refaire le fameux triplé de 2010 à Barcelone. Sauf que mon corps n'a jamais encaissé cette surcharge de travail. Il était encore dans la digestion de ces semaines à haute intensité. Mais pour moi, cet échec allait me permettre de retrouver le plus haut niveau pour les championnats du monde suivant, et même pour les Jeux. Mais, malheureusement, avant les championnats du monde en 2015, je suis victime de blessures et incapable de me hisser en finale du 100m et du 200m. On s'était d'ailleurs posé la question d'y aller ou non. Comme j'étais compétiteur, je voulais absolument m'y rendre parce que je m'étais entraîné pour ces championnats. C'était un échec assez triste, pas forcément difficile à encaisser mais j'étais vraiment dépité après mon gros travail foncier. Je me posais des questions sur l'intérêt de tous ces entraînements. J'ai eu comme un 'ras le bol' de bosser dans le vent. »

Échauffement intensif avant l'entrainement foncier (crédit photos : Matéo Benoist-Fritsch)



« J'ai en ligne de mire Paris 2024. »


2016, l'année de l'apothéose ! Vous allez aux Jeux de Rio après beaucoup de travail, arrive alors ce qui demeure aujourd'hui être un exploit majeur du sprint français : vous devenez médaillé de bronze du 200 mètres. Est-ce l'apogée de votre carrière ?

« Pour le moment oui, c'est clairement la plus belle médaille de ma carrière, mais j'espère que ça ne sera pas la dernière. Je m’entraîne pour être au top niveau, revenir aux championnats du monde et briller aux championnats de France. J'ai en ligne de mire Paris 2024, pour me qualifier et ensuite, pourquoi pas, disputer une grande finale olympique, avec le public français derrière moi. »


Au moment de la course en 2016, c'est difficile de croire en cette médaille car vous êtes un peu loin à mi-course. Finalement, vous revenez très fort sur les derniers mètres. Vous vous écroulez et semblez être surpris du résultat. Vous y croyiez ?


« Cela s'est fait en plusieurs temps. Il y a eu l'attente, le premier et deuxième (Usain Bolt et Andre de Grasse) ont été affichés rapidement car ils étaient détachés du reste de la course, mais pour le troisième, c'était interminable. Quand je casse, je suis quasiment persuadé d'être troisième, je vois Churandy Martina qui est à côté de moi. Mais moi, je pense que je suis devant lui. Sauf qu'avec l'attente je me mets à douter. Puis, quand je vois que je suis affiché troisième, j'exulte forcément. Mais je continue ensuite à me poser des questions car je vois que je suis au même chrono que Adam Gemili, l'Anglais. Est-ce que c'est vraiment moi qui suis devant ? Étant donné que cela se joue au millième, est-ce qu'il n'y aura pas une réclamation des Anglais ? C'est bizarre, je profite du tour d'honneur avec le drapeau, mais toujours en ayant cette idée derrière la tête de : « est-ce que je vais pas être quatrième finalement ? » Le bonheur était le sentiment prédominant de la soirée bien sûr, mais il y avait toujours ce petit grain de sel qui te fait te demander si c'est bien réel. Il a fallu attendre le podium pour que je sois sûr d'être médaillé de bronze et que je puisse enfin réaliser. »


Malheureusement, par la suite, les blessures vont de nouveau frapper à la porte. Ainsi, votre nom va disparaitre des grandes compétitions. La médaille a été difficile à digérer ?

« Je ne pense pas car je suis passé très vite à autre chose. J'ai entendu pas mal de sportifs dire qu'ils ont eu du mal à descendre de leur petit nuage. Moi je suis très vite redescendu pour être honnête (rires), car j'ai du mal à vraiment rester fixe sur quelque chose, j'ai très vite pensé aux objectifs d'après. J'ai récupéré une très belle médaille de bronze, mais je ne veux pas que ce soit l'apogée de ma carrière, je ne veux pas que ce soit juste une année de réussite. Je voulais continuer les années suivantes. Je voulais être un concurrent à la médaille à chaque championnat. »

En juin 2021, Thierry Tribondeau, l'un de vos entraîneurs, déclare que vous ne réaliserez pas les minimas pour les Jeux de Tokyo. Comment vous sentiez-vous psychologiquement quand vous avez appris que ces minimas ne seraient pas réalisables ?


« Disons que la déception a été globalement facile à digérer car je m'y attendais un peu à titre individuel. Je n'avançais pas, une blessure m'empêchait de participer aux championnats de France. Individuellement, je savais que c'était perdu. Après, il y avait l'envie d'y croire pour le relais, car j'avais fait tous les stages relais, de manière totalement assidue. Il y a eu la révélation de la sélection pour participer et je vois que je ne suis pas du tout dedans, et pas dans le relais non plus. J'étais dégoûté car j'avais fait le travail nécessaire, comme tout le temps, j'avais toujours répondu présent. En plus j'ai appris la nouvelle sur internet et les réseaux sociaux, personne ne m'a prévenu. Là, il y a eu de la colère, car il n'y avait aucune considération, on ne me prévient même pas, aucun contact humain. Limite, il n'y aurait jamais eu les réseaux sociaux je n'aurais peut-être jamais su ! Donc il y a eu un mélange de déception et de colère de ne pas avoir été prévenu du 'pourquoi du comment'. Je pense que si les décisions avaient été annoncées différemment, je les aurais mieux acceptées. »

Thierry Tribondeau donne les consignes de l'entraînement (crédit photos : Matéo Benoist-Fritsch)


« J'ai plusieurs idées de reconversion, […] dans l'athlétisme ou des projets personnels. »


Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

« Pour le sportif, à long terme, être présent aux Jeux et pouvoir profiter du soutien du public français, qui, je l'espère, sera nombreux et me poussera lors des compétitions. Aussi, ne pas avoir de blessure, rien qui puisse me gêner lors des préparations. Après Paris, on verra si on continue, si j'ai la motivation ou l'envie de poursuivre les entraînements de haut niveau... ou si j'en ai ras-le-bol (rires). »


Et si vous en aviez « ras-le-bol », vous pensez à une reconversion ?

« J'ai en effet plusieurs idées de reconversion, soit dans le monde de l'athlétisme, soit pour des projets personnels. J'ai envie d'avoir ma propre boutique de jeux, que ça soit jeux vidéos ou jeux de sociétés. Ou alors être dans le community management. J'ai fait des cours là-dessus donc on verra, ce ne sont pas les idées qui manquent en tout cas ! »


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