C’est une histoire d’amour comparable à des montagnes russes et commencée il y a plus d’un siècle qui révèle progressivement une certaine fragilité psychologique chez les sportifs.

Le sport a représenté 4355 heures de diffusion en France lors de l'année 2020, deux fois plus que dix ans auparavant. Source chiffres : CSA. Crédit photo : Canva
Les larmes ruissellent sur les joues de Naomi Osaka et éraflent presque les micros placés devant la joueuse de tennis âgée de 24 ans en ce 16 août 2021. Un craquage qui reflète l’exigence du haut-niveau et le possible ras-le-bol des athlètes envers les médias. Ces derniers mois, la championne (quatre victoires dans les tournois du Grand Chelem) n’est pas la seule à naviguer dans une mer de déprime. La gymnaste américaine Simone Biles a, elle, parlé de “démons” intérieurs lors des Jeux Olympiques de Tokyo. Nick Kyrgios disait début août avant le tournoi de Washington que ce sport aurait pu le “faire sombrer, ce qui a été le cas pendant un court moment. C’était vraiment difficile à 18 ans d’être l’un des joueurs australiens les plus connus et de subir la pression médiatique”. Ce stress n’est pas seulement médiatique, il est aussi lié à la performance. Ce n’est pas non plus un phénomène récent, surtout pendant les Jeux Olympiques qui est une vitrine extraordinaire. Marie-José Pérec, Yohann Diniz, Sergey Bubka, Dan O’Brien ou Cate Campbell peuvent en témoigner.
Deux mondes interdépendants depuis plus d’un siècle
Depuis que le sport est culturellement ancré dans les sociétés, à savoir depuis la deuxième partie du XIXème siècle, il se popularise grâce aux articles publiés dans la presse écrite. Yvan Gastaut, historien du sport, analyse pourquoi médias et sports sont interdépendants depuis leur genèse : “Le moment où il [le sport] devient un élément important de la société, c’est en lien avec les médias. Par exemple, les grandes compétitions sont organisées avec l’appui des médias. Il y a un très bon exemple qui est le Tour de France créé par le quotidien L’Auto.”
“Au début, la pratique du sport nécessite une dimension de spectacle, de public. La manière dont on médiatisait ces événements sportifs à la Belle époque ou dans les années 1920/1930, était assez mesurée. Aujourd’hui, il n’y a plus de mesure”, insiste-t-il. La multiplication des médias depuis un siècle et demi (presse écrite, réseaux sociaux, radio, télévision) a sans doute exacerbé les attentes, -d’une part du public, d’autre part des journalistes-, autour des sportifs jusqu’à devenir insupportable pour certains.
La relation est tout de même nécessaire car elle sert les deux parties. Si un sportif n’est pas visible aux yeux du public et que son sport n’est pas professionnel, il ne vivra pas de sa passion. Or, les médias permettent aux athlètes de percevoir de l’argent, notamment grâce aux droits télévisés. Alain Mimoun, champion olympique du marathon en 1956, déclarait d’ailleurs : “C’est la radio qui m’a fait connaître, je ne l’oublie pas”. Inversement, les sportifs servent aux médias car leurs histoires intéressent et inspirent les populations ; ce qui permet aux journaux de vendre. Mais le traitement médiatique du sport n’est-il pas un peu désuet ? Faut-il tourner la page des conférences de presse, des interviews et des réactions d’avant et d’après-match ?
Des rituels obligatoires
Selon Vincent Duluc, journaliste de L’Équipe, “dans le cas de Naomi Osaka, le problème n’était pas tellement la presse mais son rapport à la performance. C’est juste elle qui n’arrive plus à assumer le cahier des charges d’un sportif de haut niveau qui est de devoir s’entraîner, de répondre aux conférences de presse, de ce devoir envers ses partenaires commerciaux, voilà ça a toujours été un deal global”. Un cahier des charges qui peut être fatiguant à force d’être répété avant et après chaque rencontre. Les échanges entre journalistes et sportifs sortent peu de l’ordinaire et restent bien souvent en surface. Analyses purement tactiques et questions centrées sur l’humain sont écartées.
Les athlètes ne sont pas habitués au début de leur carrière à s’exprimer devant la presse comme l’explique Virginie Lemaire de Bressy, psychologue du sport : “Il y a beaucoup de sportifs qui sont très bons mais qui ne gèrent pas forcément la pression médiatique parce qu’ils n'aiment pas être sur le devant de la scène ou en tout cas ils ne sont pas préparés à ça”. Pourtant, ce protocole est obligatoire pour certains sportifs et dans la majorité des compétitions, au risque de prendre une amende si l’on ne s’y présente pas. Un passage devant les caméras qui doit être préparé et dont les propos deviennent forcément insipides. La raison ? Prendre aucun risque et éviter un emballement médiatique derrière.
Les réactions juste après le coup de sifflet final donnent lieu à des situations légèrement ridicules car le journaliste demande à quelqu’un d’essoufflé de répondre avec lucidité et de refaire le film du match au lieu d’attendre un discours à tête reposée plus objectif (même si cela se fait de plus en plus dans le journalisme sportif). Les supporters demandent à leur idole de “tout gérer, tout maîtriser et tout comprendre car le public n'a pas forcément envie de voir qu’ils ont des émotions et ça ne les intéresse pas forcément”, dixit Virginie Lemaire de Bressy. Le sportif est vu comme un héros, d’où l’idée qu’il ne doit pas montrer ses faiblesses face caméra. Mais derrière la cape se cachent “les frustrations, les erreurs, les jugements, le regard qui font partie du parcours du sportif. Fatalement, le côté médiatique va rajouter une pression, va appuyer sur toutes ces petites choses”, analyse la psychologue du sport. Un constat confirmé par l’émergence des réseaux sociaux.
Le danger des réseaux sociaux
Tourbillon de 'likes' et de commentaires, le système des réseaux sociaux est à présent bien connu. Et il peut paraître néfaste, tout comme être un avantage s’il est bien utilisé par les sportifs, en particulier les jeunes, forcément beaucoup plus adeptes. Les réseaux sociaux représentent un double danger : pour les sportifs mais aussi pour les médias. Dans le premier cas de figure, certains d’entre eux peuvent déraper. La vidéo périscope de Serge Aurier est, bien sûr, l’exemple le plus probant. Ils partagent leur vie privée, ce qui montre une proximité avec la communauté qui les suit mais également une intrusion et une grande ouverture à leur intimité. Dans le deuxième cas de figure, les médias peuvent se demander de nos jours comment apporter leur pierre à l'édifice. Les sportifs se mettent déjà en scène et n’ont plus besoin de la visibilité qu'offraient les médias auparavant.
Bémol, les commentaires sont plus nombreux, plus agressifs et moins constructifs que les critiques rédigées par des journalistes spécialisés dans un sport. Lors d’un entretien accordé à Ouest-France cette année, Denis Troch, ex-adjoint au PSG (1991-1994 puis 1998-1999) se plaignait des notes données aux joueurs de football par la presse : “C’est le métier, mais rendez-vous compte, c’est comme si je notais vos articles. On accepte, mais je trouve que c’est puéril et populiste. S’ils sont jugés comme pas bon, ce n’est pas de leur faute car ce n’est pas vrai. C’est un critère de jugement déconnecté du monde pro”. Une opinion qui fait sens mais les jugements notés sont dérisoires en termes d'agressivité à côté des réseaux sociaux. On peut tout de même se demander s’il faudrait donner des notes à des sportifs dans un premier temps. Sur une rencontre, le regard d’une seule personne paraît très subjectif alors que des millions de lecteurs vont lire le même article.
Vincent Duluc ne voit pas du même œil la pression médiatique : “C’est vrai qu’on peut gonfler, exagérer ce qu’il se passe. La vraie pression pour le sportif venant de la presse est par rapport à la performance en générale, par rapport aux critiques. Mais elle n'est pas par rapport à l'exercice médiatique lui-même. C’est-à-dire que la vraie pression, c’est celle de lire toute la journée “est-ce que machin a encore quelque chose à donner ?” Sébastien Pietri, ancien journaliste, conseille les jeunes à l’UNFP par rapport aux médias comme il l’explique à Ouest-France. “Les jeter en pâtures dans des zones mixtes ou salles de presse, c’est compliqué. Il faut leur donner des clés. Ce module se compose de deux fois trois heures. Je leur propose de nombreux articles de presse, des interviews de joueurs qui ont été mis en difficulté afin d’avoir leur ressenti. Je veux savoir si eux auraient réagi de la même manière, s’ils comprennent le comportement du journaliste ou du joueur", précise-t-il. Une formation également nécessaire pour prévenir des dérives liées aux réseaux sociaux, dans un monde où l’information va tellement plus vite.
Des sports individuels plus exposés
Invité de l’émission Les Grandes Gueules sur RMC en avril, Alexis Pinturault (vainqueur du Globe de cristal 2021 en ski alpin) a raconté la pression médiatique qui venait avec la notoriété. “Je suis arrivé très jeune et tout de suite, on s’attendait à ce que je gagne. Je me suis retrouvé dans une situation où je devais faire avec beaucoup de médias. Et ce n’était pas forcément ce qui me plaisait. Il a fallu apprendre, mettre des choses en place. On l’a fait avec la fédération et ma femme, qui m’accompagne dans ce domaine. Les choses se sont beaucoup allégées et je suis plus épanoui aujourd’hui”, a-t-il déroulé. Même si dans un sport collectif les critiques sont évidemment très présentes, un joueur visé peut se reposer sur son équipe. Dans un sport individuel, les projecteurs sont obligatoirement braqués sur LE sportif, ce qui décuple la pression.
Et quand l’individu commence à gagner, les attentes augmentent et se transforment en exigence, autant de la part du public que des médias. Que ce soit en France ou ailleurs, un athlète du pays qui continue d’être un champion, ça rend forcément mieux sur la Une du journal. Antoine Dénériaz, médaillé d’or olympique de descente en 2006 s’est confié au début de l’été sur cet épisode à France Info : “C’était tout le temps, c’était pesant, et il y a des moments où on veut juste être tranquille. Ce n’est pas méchant, on se rend compte de l’émotion et de la joie qu’on procure chez les gens mais c’est fatiguant. Il y a eu des semaines ou je n’osais plus sortir de chez moi, je voulais juste redevenir quelqu’un de normal.” Idem pour Alain Bernard. “Quand tu es champion olympique, tu dois gagner le meeting, championnat de France, d’Europe ou du monde qui suit. Et finalement, ce n’est pas si évident que cela”, décrivait-il.
Heureusement, la notoriété a parfois du bon. Certains événements propulsent des sports peu populaires sur le devant de la scène. Le karaté a été introduit aux Jeux Olympiques de Tokyo pour la première fois de son histoire et a été suivi en France, grâce à la médaille d’or de Steven Da Costa. Pourtant, cette épreuve ne verra pas le jour à Paris dans trois ans. Mais le double champion du monde restera dans l’inconscient collectif comme le premier vainqueur olympique de ce sport. Cela peut pousser les médias à mettre la lumière sur un sport de combat qui n’est pas autant considéré que le judo par exemple. Même si la presse est encore pointée du doigt pour parler que de football, la situation tend à s’améliorer en ce qui concerne les sports manquant de visibilité avec la création de nombreux médias spécialisés et la diffusion télévisée. Bein Sports et Canal+ ont récemment acheté les droits du padel par exemple.
Le travail de l’ombre
Ce qui est souvent reproché aux médias dans le traitement du sport, c’est de mettre en avant les statistiques ou les belles images plutôt que le travail de l’ombre. Valentin Porte, l’arrière de Montpellier, confiait à Ouest-France que “le média ira au plus simple, s’il voit un joueur qui rate trois shoots, ils vont dire qu’il a fait un mauvais match alors qu’il a été excellent en défense, dans le jeu”. Ce qui est de moins en moins vrai même si effectivement le travail ingrat n’est peut-être pas assez décrypté.
Avec les palettes à la télévision, l’analyse tactique pourrait être encore plus poussée afin d’énumérer les points forts et les points faibles d’une rencontre sportive. Et ne laisser personne de côté ni se tromper sur les jugements. Les passionnés de basket comprennent que la feuille de statistiques ne reflète pas forcément la performance d’un joueur. C’est pour cette raison que certains YouTubeurs comme la chaîne TrashTalk, consacrée à la NBA ou Boxe Attitude consacré au Noble Art sont importants car ils apportent énormément d’expertise sur les sports concernés. Tandis que les médias classiques sont parfois esclaves du spectacle.
Les immersions dans le quotidien des sportifs ou dans les clubs est de plus en plus répandu dans les rédactions. La pression et les coulisses sont donc comprises par les médias. Canal+ avec sa série sur le Top 14 intitulée “XV”, le documentaire de RMC Sport sur l’ASVEL ou bien les entraîneurs de Ligue 1 avec “L’enfer du banc” sur L’Équipe sont autant d’exemples qui montrent que le journalisme se penche de plus en plus sur les faces cachées du sport. La pression médiatique s’atténue plus facilement en procédant de cette manière.
Paul Rouchard
Sources :
Enquête de Ouest-France - Les sportifs de haut niveau à l'épreuve des critiques médiatiques
Les Grandes Gueules sur RMC avec Alexis Pinturault
Article de France Info - Comment gérer la notoriété soudaine chez les sportifs
Article du Journal de Saône et Loire - Comme Simone Biles ces athlètes ont craqué sous la pression
Article de Bein Sport repris d'une dépêche AFP - Nick Kyrgios : "Ce sport aurait pu me faire sombrer"
Podcast L'Équipe Explore - L'enfer du banc
Comments