Le Japonais, Shinzo Kanakuri, prend le départ du marathon de Stockholm lors des Jeux Olympiques de 1912. Au terme de cette course de plusieurs décennies, il aura couru le plus long marathon de l'Histoire.
Le Japon aux Jeux Olympiques
Si l’histoire ne retient que les vainqueurs alors Shizo Kanakuri est l’exception qui confirme la règle. Notre histoire prend place en 1912 à Stockholm et les Jeux olympiques modernes n’existent alors que depuis seize ans. Une nouveauté qui se ressent par les nombreux accidents, voire les décès, qui émaillent les olympiades. En ce sens, l’année 1912 sera particulièrement rude pour les athlètes. Pour la première fois, les cinq continents sont représentés grâce à l’intronisation du Japon, premier pays asiatique a participé aux Jeux olympiques (l’Empire Ottoman participa en 1908 mais s’étendait alors sur trois continents : L’Europe, l’Afrique et l’Asie).
Si le Japon participe seulement pour la première fois à l’évènement que représente les Jeux olympiques, c’est bien en raison d’une culture sportive relativement limitée. Comme le décrit l’historien Kazuo Sayama : « il y avait les arts martiaux au Japon mais c’était très différent de la conception française du sport. Au début du vingtième siècle peu de japonais étaient au courant de ce que le sport signifiait vraiment ». Le baron français Pierre de Coubertin, étant le père des Jeux olympiques modernes, l’esprit sportif qui s’en dégageait alors était intimement lié à celui du sport tricolore. Des clubs sportifs commencent néanmoins à naître dans les écoles et les universités japonaises mais à l’aube de ce vingtième siècle le sport n’est pas un passe-temps populaire. A tel point que pour envoyer en Suède les deux athlètes qui représenteront le pays nippon, leurs concitoyens seront obligés… de se cotiser.
Kanakuri aux Jeux Olympiques
Pour Shizo Kanakuri, surnommé le « père du marathon » dans son pays natal, tout débute à Tamana, sa ville de résidence. Le jeune homme d’une vingtaine d’années est alors absorbé par ses études supérieures à l’école normale supérieure de Tokyo. Mais à la lecture d’un journal, il apprend l’instauration d’essais de qualifications pour la première participation du Japon aux Jeux Olympiques. Coureur d’un bon niveau, Kanakuri décide de s’inscrire. Mais, les connaissances d’alors sur la pratique sportive sont assez restreintes. Le jeune homme de Tamana pense ainsi que la transpiration affaiblie les coureurs. Pour contrecarrer ce problème, il va employer une stratégie simple consistant à ne pas boire une goutte d’eau, allant même jusqu’à s’en rendre malade ! En ce mois de novembre 1911, sur un parcours test de quarante kilomètres, Kanakuri va pourtant écraser ses adversaires. Ce dernier aurait même battu le record du monde en 2h 32min et 45sec !
En compagnie de l’un de ses compatriotes, nommé Yahiko Mishima, le Japonais part en Suède pour représenter son pays. Participant pour la première fois à la compétition, les habitants attendent de leurs champions qu’ils fassent honneur au Japon, une valeur centrale dans leur culture. Pour se rendre en Europe, les deux hommes prennent d’abord le bateau avant de monter dans le Transsibérien, un train reliant la Chine au Vieux Continent. Un tel périple s’avère être long… dix-huit jours précisément dont dix à bord du Transsibérien. Dix journées durant lesquelles les deux Japonais resteront cloitrés dans la machine à vapeur sans pouvoir s’entrainer. Kanakuri tentera bien de pratiquer la course à pied durant les arrêts en gare mais cette préparation demeure minime et insuffisante. Un mois avant le début de la compétition les deux seuls asiatiques de l’évènement arriveront finalement à bon port.
Une fois sur place, Kanakuri ne pourra pourtant pas s’entrainer beaucoup plus. Son entraineur étant tombé malade, le jeune homme se voit contraint de s’occuper de ce dernier. En parallèle, le climat et la nourriture représentent d’importants changements et lui demande un temps d’adaptation.
Un marathon étrange
Malgré cette piètre préparation, Kanakuri va s’aligner sur la ligne de départ du marathon, le 14 juillet 1912, au côté des 67 autres participants (sur 90 inscrits). La foule se masse aux abords de la piste pour admirer les esthètes de l’endurance. Mais ce jour-là, le mercure du thermomètre indique 32 degrés. Afin de se protéger, la majorité des concurrents attacheront un petit mouchoir blanc sur leur tête. Le soleil de plomb frappera durement les coureurs, provoquant trente-deux abandons et surtout un drame. Au trentième kilomètre le Portugais Francisco Lazaro s’effondre. Il est mort. Amené en vitesse à l’hôpital, le chef de la clinique diagnostiquera une « méningite à cause d'un violent coup de soleil ». Malgré un état qui sembla s’améliorer après des injections d’eau salée, le Portugais se mit à délirer, reproduisant les mouvements nécessaires pour courir un marathon. Le 15 juillet 1912, le jeune homme de 21 ans décède finalement à 6h20. La presse portugaise se montrera élogieuse titrant : « Il est mort comme le soldat de Marathon, en combattant comme un héros dans l'accomplissement de son devoir. »
Malgré les conditions extrêmes qui engendrèrent ce drame, Kennedy MacArthur réussit à conclure la course en 2 heures 36 minutes et 54 secondes, nouveau record olympique, et à remporter l’épreuve. Au bout de la souffrance, le sud-africains franchi la ligne ceint d’une couronne de laurier. Ne pouvant plus tenir sur ses jambes, il sera porté par trois officiels. Une minute derrière lui, son compatriote Christian Gitsham s’empare de l’argent tandis que l’américain Gaston Strobino rafle la médaille de bronze.
Finalement, sur les 67 partants, 34 réussiront à franchir la ligne d’arrivée, 32 abandonneront et un coureur... restera introuvable. Il ne s’agit ni plus ni moins que du japonais Shizo Kanakuri. Les autorités partent alors immédiatement à sa recherche, mobilisant des équipes pour retracer la course. Mais le jeune homme reste introuvable, il semble s’être évaporé. Au bout de quelques semaines les rumeurs vont bon train. Certains affirment l’avoir vu déambulé à moitié mort dans les rues, tandis que d’autres disent l’avoir vu boire un verre dans un bar. Le Japonais devient une légende urbaine. Mais sans nouvel élément concret, l’histoire de Kanakuri tombe peu à peu dans les limbes de l’oubli laissant un nébuleux mystère derrière elle.
40 ans plus tard
Ce n’est qu’en 1952, 40 ans plus tard, qu’un journaliste suédois se réintéresse au disparu des Jeux olympiques de 1912. A l’occasion du cinquantième anniversaire des Jeux, le Suédois décide d’élucider cette énigme. L’homme, pour ce faire, se rend dans la ville d’origine du coureur japonais, à Tamana. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit dans l’université un professeur de géographie… qui s’avère être le coureur disparu en 1912 !
Shizo Kanakuri accepte alors de raconter son histoire. Il expliquera au journaliste que la chaleur était si étouffante qu’il éprouva au trentième kilomètres un malaise. En pleine hyperthermie, les pieds brulés par le sol bouillant - les coureurs japonais portaient des chaussures traditionnels très fines nommées Tabi - déshydraté et au bord de l'abandon, il avait remarqué un homme qui sirotait un jus de fruit. Les habitants, touchés par sa souffrance, lui avait alors proposé un lit pour se reposer. Il accepte pensant somnoler quelques minutes, le temps de reprendre des forces afin de pouvoir finir la course. Il ne se réveillera que le lendemain, ahuri. De peur de subir le déshonneur au Japon - l’honneur étant une valeur prédominante dans le pays nippon - il choisit de disparaître aidé par ses hôtes qui lui fournirent des vêtements de rechange. Il aurait néanmoins songé à déclarer son abandon, mais la montagne de paperasse administrative à remplir l’en aurait découragé. Kanakuri, en train, puis en bateau, reparti au Japon et repris le cours de sa vie dans la plus grande discrétion.
Il ne lâchera néanmoins pas ses rêves de compétitions. Il continua à s’entrainer et sera sélectionné pour les Jeux de 1916, finalement annulé par la première Guerre Mondiale. Il prit tout de même le départ du marathon d’Anvers en 1920 qu’il conclut à la seizième place puis à celui de Paris en 1924 qu’il ne réussit jamais à finir. Mais c’est en 1967, à l’âge de soixante-quinze ans, que cette histoire connut son dénouement. Le Japonais reçut une invitation du Comité National Olympique suédois lui proposant de revenir à Stockholm pour le 55ème anniversaire des Jeux Olympiques de 1912. Arrivé dans la capitale nordique, on lui donna la possibilité de finir sa course. Il parcourra les quelques kilomètres qui lui manquait pour rallier la ligne d’arrivée d’une épreuve parcourue à la moyenne de 0,00009 kilomètres par heure : « c’était un long voyage. Sur la route, j’ai été marié, j’ai eu six enfants et dix petits-enfants » dira-il. En 54 ans 8 mois 6 jours 5 heures et 32 minutes, Shizo Kanakuri venait de courir le marathon le plus long de l'histoire !
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