À la tête de la Hongrie depuis 2010, le très contesté Viktor Orban a fait du football un véritable outil politique qu'il met habilement au service du rayonnement national et international de son pouvoir. Mais derrière les ambitions affichées par Budapest, nombreux sont ceux qui mettent en lumière l'opacité des pratiques et des intérêts qui entrent en jeu. Décryptage des grands principes d'une stratégie de puissance controversée.
Vitrines scintillantes et pratiques opaques
Viktor Orban est un grand sportif. À 58 ans, le chef du gouvernement hongrois a un passé de footballeur amateur et a même évolué en deuxième division alors qu'il débutait son premier mandat politique. Et pour se faire plaisir, l'homme ne recule devant rien. En 2014, un impressionnant complexe sportif a vu le jour à Felcsut, son village natal, qui ne compte pourtant pas plus de 2000 habitants. La Puskas Academia, ainsi nommée en hommage à la plus grande figure de l'histoire sportive hongroise, est une structure symbole d'ambition. Avec sa dizaine de terrains d'entraînements, son internat et surtout son stade de 4000 places, le complexe est le résultat d'un investissement de grande envergure, consenti par le gouvernement dans le but de développer la formation des meilleurs jeunes footballeurs du pays.
En Hongrie, cette structure n'est pas un cas isolé. Aux quatre coins du pays, Viktor Orban a impulsé un élan de modernisation des infrastructures sportives depuis son retour au pouvoir en 2010. En ont résulté une vingtaine de stades, dont le plus connu d'entre eux, la Puskas Arena de Budapest, a accueilli l'été dernier quatre rencontres de l'Euro 2020. Une vitrine d'envergure pour la Hongrie et ses dirigeants.
Les locaux, eux, sont dubitatifs quant à la portée de ces investissements pourtant pharaoniques. Pour beaucoup, les stades ne sont que les symboles d'un véritable « gaspillage » financier. Si de tels montants peuvent être déboursés, c'est avant tout le fait de pratiques économiques opaques qui font entrer en jeu les relations de Viktor Orban. La saison passée, onze des douze équipes du championnat hongrois étaient sous l'emprise d'amis du Premier ministre. Souvent titulaires de rôles importants au sein du Fidesz, le parti majoritaire, ou bien même du gouvernement, les dirigeants de ces clubs profitent de leurs relations politiques pour assurer à leurs écuries une situation économique sereine. Et l'ampleur de ce système est telle que certains en viennent à parler d'« oligarchisation ». En Hongrie, le football dans sa quasi-intégralité est ainsi aux mains d'une caste restreinte d'élites que rien ne caractérise mieux que leur proximité avec le chef du gouvernement. Plus encore, un système d'exonération fiscale inscrit dans la loi, le TAO (Tarsasagi Ado és Osztalekado), encourage les plus grandes entreprises du pays à injecter des fonds dans le sport. Avec l'équivalent de 928 millions d'euros reçus depuis 2011, le sport favori du « premier supporter du pays » en est le principal bénéficiaire.
Un levier politique et diplomatique
Sur la scène internationale aussi, Viktor Orban sait tirer profit de sa grande passion. L'accueil de l'Euro, d'abord, a été l'opportunité pour le pouvoir hongrois de se montrer à l'échelle continentale. Dans un stade comble, là où toutes les autres enceintes se sont trouvées forcées de composer avec des jauges de spectateurs, la Puskas Arena avait de sérieux airs d'avant-Covid. Plus tôt, en septembre 2020, cette même Puskas Arena avait accueilli devant 15000 spectateurs la finale de la Supercoupe d'Europe entre le FC Séville et le Bayern Munich. Pour Budapest, l'organisation de ces événements permet de se présenter auprès de l'UEFA comme une place importante du football européen.
Enfin, Sandor Csanyi, le président de la Fédération hongroise de football et président d'une grande banque, avait lui-même agit pour que Loïc Nego puisse débuter sous les couleurs de la Hongrie – le joueur ayant déjà représenté la France avec les espoirs. Une entreprise menée avec succès puisque le natif de Paris a disputé le dernier Euro avec la sélection magyare. Dans une logique de rayonnement international, Budapest multiplie les tentatives de faire du football un pilier de son soft power.
L'importance politique du football hongrois peut également se comprendre à l'échelle nationale. Alors que les prochaines élections législatives se tiendront au mois d'avril, Viktor Orban voulait à tout prix faire de l'accueil de l'Euro un outil de légitimation de son pouvoir. Paul Gradvohl, spécialiste des pays d'Europe centrale, l'expliquait dans les colonnes de Ouest-France : « À l'extérieur, il ne peut espérer engranger que des succès diplomatiques. En revanche, il en espère des votes. Un échec le rendrait fou. » Le pouvoir hongrois aspire aussi à étendre son influence régionale grâce au football. Pour cela, il soutient des minorités hongroises à l'étranger en supportant économiquement les clubs qui les représentent. Les équipes de Backa Topola (Serbie), Dunajská Streda (Slovaquie), NK Osijek (Croatie), Sfantu Gheorghe et Miercurea Ciuc (Roumanie) en sont des exemples explicites.
Un bilan qui laisse à désirer
Pour l'heure, le bilan de cette politique de valorisation est très contrasté. Sur le plan sportif d'abord, le mythique football hongrois des années 1950 n'est qu'un très lointain souvenir. Et pourtant, les bases historiques sont bien là. Sous l'égide de Gusztav Sebes, sélectionneur du légendaire « Onze d'or » entre 1949 et 1956, les Hongrois ont marqué de leur empreinte l'histoire du ballon rond. En inventant un système tactique révolutionnaire, le premier véritablement porté sur l'importance du collectif, la sélection s'était hissée jusqu'en finale du mondial 1954. Aujourd'hui, l'équipe nationale peine à briller dans les grandes compétitions, et ce malgré quelques individualités notables à l'image de Dominik Szoboszlai, grand talent du football magyar qui évolue sous la tunique de Leipzig. De même, rares sont les clubs du pays qui font parler d'eux à l'échelle continentale. L'effort de formation quant à lui, n'a jusqu'alors produit que peu d'effets notables.
Si la formation de joueurs et la construction de projets sportifs viables sont évidemment conditionnées à des délais relativement étendus, un second problème persiste. Le taux d'occupation moyen des stades n'est que de 17%. Malgré tous les investissements réalisés, le football hongrois n'attire pas les foules espérées et notamment le public familial que vise Viktor Orban. En cause, une certaine lassitude de l'opinion publique qui remet en cause la pertinence de ces investissements, dans un État où les problèmes du système de santé ou d'éducation, par exemple, font partie des grandes préoccupations de la population. En Hongrie plus qu'ailleurs transparaissent donc les limites de la mise au service du sport au profit d'intérêts politiques.
Mathis Beautrais
Sources :
Comments